Pour Higgins (2006), les différentes définitions de la valeur que proposent les dictionnaires anglophones s’accordent sur deux points essentiels.
1) Il s’agit d’une somme de marchandises, de moyens d’échanges et de tout ce qui peut être considéré comme ayant un équivalent dans autre chose ; un retour équitable dans un bien, un service ou en terme monétaire ; un bien matériel ou monétaire d’une chose : une valeur boursière.
2) Le statut relatif d’une chose ou de l’estimation qui est déférée, considérant son mérite réel ou supposé, son utilité ou son importance. Degré d’excellence.
Pour Higgins (2006), si ces deux facettes de la valeur ont le mérite de dire ce que signifie la valeur, en revanche, elles ne disent rien de ce qu’elle est d’un point de vue psychologique. Autrement dit, quelle est cette « valeur » qui mérite le fait d’être échangée ?
Le degré d’excellence est souvent traité du point de vue des croyances ou des inférences en termes de jugements. La valeur peut également être traitée comme une relation entre l’état courant et l’état final, ce dernier fonctionnant alors comme un standard ou un point de référence tel les modèles cybernétiques. L’approche ou l’évitement de cet état final confère alors la valeur au comportement adopté.
Pour Higgins, la source cognitive de la valeur correspondrait d’un point de vue historique et philosophique aux réflexions et aux raisons qui permettraient d’établir les bases objectives permettant de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal. Cependant, en adoptant ce point de vue, une notion clef a été oubliée en cours de route pour Higgins : la valeur de l’expérience. Cette forme de valeur n’est pas mentionnée dans les différents dictionnaires anglophones consultés par l’auteur. Par exemple, pour Higgins (2006), il existe de nombreuses études qui montrent que l’animal fait ses choix sur la valeur de ses expériences, et ce, indépendamment de l’intensité de ses besoins.
Toujours d’un point de vue historique la valeur de l’expérience a été le plus souvent associée à son hédonisme. En plus de cet aspect hédonique, Higgins estime que la valeur de l’expérience s’enracine dans la force de l’engagement. Pour lui, il existe une force motivationnelle qui serait issue du fait de vouloir faire en sorte que quelque chose advienne (vécu en tant que force d’attraction) ou pas (vécu comme une force de répulsion). Cependant, il postule également que l’expérience hédonique affecte la force motivationnelle de l’expérience de sorte que l’intensité de la force qui est au service de l’émergence d’un événement augmente autant que son agrément, et, inversement, l’intensité de la force à faire en sorte que quelque chose n’arrive pas augmente au fur et à mesure que son ajournement se prolonge. La valeur serait donc, pour Higgins, la résultante d’une combinaison de l’expérience hédonique et de la force motivationnelle de l’expérience.
L’expérience hédonique est liée aux propriétés subjectives de la valeur cible (présente ou anticipée) et ce en fonction des besoins ou des niveaux atteints par les buts, ceux-ci pouvant induire plaisir et douleur à des intensités variables. En effet, les individus ne sont pas que de simples réactifs aux propriétés de l’environnement. Ils assignent une signification aux propriétés d’un objet en fonction de leurs besoins ou du niveau atteint par leurs objectifs.
La force motivationnelle de l’expérience est directement issue de la force de l’engagement. Cette dernière est définie par Higgins comme le fait d’être impliqué, occupé, intéressé par quelque chose. Un engagement important est le fait d’être concentré sur quelque chose, d’être absorbé.
Selon lui, la force de l’engagement subit au moins cinq influences.
1 – Tout comme la valeur hédonique agit sur l’expérience hédonique, elle a une action indirecte sur la force motivationnelle de l’expérience au travers de la force de l’engagement.
2 – L’opposition de forces interférentes - Quand les individus s’opposent à un événement qui devrait advenir, ils mettent en place quelque chose à même de modifier le cours des événements. Cette opposition crée en elle-même de la valeur. La difficulté est une variable qui peut être conceptualisée comme une force interférente. Il est à noter que les circonstances perturbantes ou gênantes qui s’opposent à l’activité principale peuvent être qualifiées de plaisantes ou de déplaisantes. Cependant, dans les deux cas, ces circonstances ont pour effet d’augmenter la force de l’engagement et donc de créer de la valeur.
3 – Dépasser une résistance personnelle - Il y a des conditions dans lesquels les individus eux-mêmes résistent à faire quelque chose qui se présente comme étant quelque chose d’aversif. Le fait de faire quelque chose en dépit du fait de ne pas vouloir le faire a pour effet de dépasser ses résistances personnelles et d’augmenter la force de l’engagement.
4 – Convergences régulatrices - En vertu de la théorie des convergences régulatrices (regulatory fit, Higgins, 2000), les expériences de convergences régulatrices ont un impact significatif sur la valeur d’une activité. Une convergence régulatrice se produit quand l’orientation vers un objectif est convergente avec la manière dont cet objectif est poursuivi. Par exemple, dans une tâche de résolution d’anagramme, Forster, Higgins & Idson (1998) ont induit l’orientation régulatrice en précisant aux participants que s’ils trouvaient 90% ou plus de mots (promotion des gains) ils gagneraient un dollar de plus. Dans un autre groupe, les auteurs ont signifiés aux sujets que s’ils loupaient moins de 10% des mots (prévention de la perte) ils éviteraient de perdre un dollar. La réalisation de l’activité fut par ailleurs orientée soit de manière à promouvoir l’avidité de l’individu, soit à promouvoir la vigilance de l’individu. Lorsque la réalisation de l’activité (promotion de l’avidité/ de la vigilance) s’accorde avec l’orientation régulatrice (perte ou gain) la valeur est plus importante que lorsqu’elle ne s’accorde pas avec celle-ci.
5- Utilisation de moyens adéquats - Higgins (2006) illustre cette cinquième source au travers de différentes maximes comme « la fin ne justifie pas les moyens », « l’essentiel n’est pas de gagner mais de participer ». Ces « petites » phrases à l’apparence sibylline montrent que la valeur induite sur la manière de poursuivre un but est indépendante de celle liée à la finalité du but poursuivi. Autrement dit, un objectif aura d’autant plus de valeur qu’il est poursuivi de manière approprié.