Pour Schwartz & Bilsky (1987), les différentes définitions des valeurs font apparaître cinq aspects centraux :
1. ce sont des concepts ou des croyances ;
2. elles portent sur un état final désirable ou sur un comportement ;
3. elles transcendent les situations spécifiques ;
4. les valeurs guident l’évaluation ou la sélection des comportements ou des événements ;
5. elles peuvent être ordonnées en fonction de leur importance relative.
Pour Schwartz (1994), les valeurs sont des objectifs trans-situationnels désirables, qui varient en importance, qui permettent de guider les grands principes de vie d’une personne ou d’une entité sociale. Ce qui distingue une valeur d’une autre est le type d’objectif ou de motivation que cette valeur exprime. L’utilisation implicite des valeurs comme buts supposent qu’elles :
1. servent l’intérêt d’une entité sociale ;
2. peuvent motiver l’action en donnant une direction et une intensité émotionnelles ;
3. fonctionnent comme des standards pour juger et pour justifier les actions ;
4. elles sont acquises par le biais de la socialisation de groupes de valeurs dominantes et au travers d’un apprentissage unique à chaque individu.
Schwartz & Bilsky (1987) proposent d’établir une vision structurelle des valeurs humaines. Cette structure fait référence à l’organisation conceptuelle des valeurs sur la base de leurs similarités et de leurs différences. Par exemple, le plaisir et le confort présentent des caractéristiques communes tout comme l’égalité et la bienveillance. D’un autre côté, la structuration des valeurs permet de mettre en exergue la compatibilité et les contractions qu’elles renferment.
Les Différentes études réalisées par Schwartz et ses collaborateurs (Schwartz & Bilsky, 1987, 1990 ; Schwartz & Boehnke, 2004) partent du principe que les valeurs humaines sont des représentations cognitives qui prennent leur source dans au moins l’un des trois impératifs inhérents de la condition humaine : les besoins biologiques de l’organisme, les interactions sociales indispensables aux coordinations interpersonnelles et les demandes sociales institutionnelles nécessaires au bien-être et à la survie du groupe.
Pour Schwartz (2006, p 932), « Les individus ne peuvent pas réussir seuls à répondre à ces trois nécessités de l’existence humaine. Bien plus, ils doivent exprimer des objectifs permettant tout à la fois d’y faire face, de communiquer avec les autres à leur propos, et d’obtenir la collaboration des autres dans leur démarche. Les valeurs sont les concepts, socialement désirables, que l’on utilise pour représenter ces objectifs au niveau mental, et, en même temps, le lexique utilisé pour parler de ces objectifs dans les interactions sociales ».
Pour mesurer les valeurs, les différentes études de Schwartz et ses collaborateurs (Schwartz & Bilsky, 1987, 1990 ; Schwartz & Boehnke, 2004) se sont principalement inspirées du questionnaire de valeur proposé par Rokeach (1973) à partir duquel ils ont créé leur propre questionnaire ; ce dernier a pu ensuite être administré dans des versions diverses à des pays et des cultures différentes.
Les premières études transnationales ont cherché à valider l’existence de 7 valeurs universelles (Schwartz & Bilsky, 1987, 1990). Cependant, devant l’inconsistance de certains classements et grâce à l’augmentation du nombre de pays dans lesquelles les dernières versions de l’échelle ont été administrées, Schwartz (2006) est arrivé à une nomenclature de 10 valeurs de bases validées empiriquement au travers de 68 pays. Ces valeurs de base sont les suivantes.
1. Autonomie - Objectif : indépendance de la pensée et de l’action – choisir, créer, explorer… (les items utilisés pour approcher cette valeur de base sont : créativité, liberté, choisissant ses propres buts, curieux, indépendant ainsi que [amour propre, intelligent, droit à une vie privée]).
2. Stimulation - Objectif : enthousiasme, nouveauté et défis à relever dans la vie. Les valeurs de stimulation découlent du besoin vital de variété et de stimulation (items associés : une vie variée, une vie passionnante, intrépide).
3. Hédonisme - Objectif : plaisir ou gratification sensuelle personnelle. Les valeurs d’hédonisme proviennent des besoins vitaux de l’être humain et du plaisir associé à leur satisfaction - Items associés : plaisir, aimant la vie, se faire plaisir.
4. Réussite - Objectif : le succès personnel obtenu grâce à la manifestation de compétences socialement reconnues. Être performant dans la création ou l’accès à des ressources est une nécessité pour la survie des individus ; c’est également indispensable pour que les groupes ou les institutions puissent atteindre leurs objectifs - Items associés : ambitieux, ayant du succès, capable, ayant de l’influence ainsi que [intelligent, amour-propre, reconnaissance, sociale].
5. Pouvoir - Objectif : statut social prestigieux, contrôle des ressources et domination des personnes. Une dimension domination/soumission apparaît dans la plupart des analyses empiriques des relations interpersonnelles, que ce soit à l’intérieur d’une même culture ou entre les cultures. Pour justifier cet aspect de la vie sociale et pour faire en sorte que les membres du groupe l’acceptent, le pouvoir doit être traité comme une valeur - Items associés : autorité, richesse, pouvoir social ainsi que [préservant mon image publique, reconnaissance sociale].
6. Sécurité - Objectif : sûreté, harmonie et stabilité de la société, des relations entre groupes et entre individus, et de soi-même. Il y a deux sortes de valeurs de sécurité. Certaines concernent avant tout des intérêts individuels (par exemple, propre), d’autres concernent surtout des intérêts collectifs (par exemple, sécurité nationale). Mais même ces derniers sont liés, de manière non négligeable, à un objectif de sécurité pour soi-même (ou pour ceux auxquels on s’identifie). Les deux sortes de valeurs de sécurité peuvent donc être réunies dans une valeur qui les englobe. - Items associés : ordre social, sécurité familiale, sécurité nationale, propre, réciprocité des services rendus ainsi que [en bonne santé, modéré, sentiment d’appartenance]).
7. Conformité - Objectif : modération des actions, des goûts, des préférences et des impulsions susceptibles de déstabiliser ou de blesser les autres, ou encore de transgresser les attentes ou les normes sociales. Les valeurs de conformité proviennent de la nécessité pour les individus d’inhiber ceux de leurs désirs qui pourraient contrarier ou entraver le bon fonctionnement des interactions et du groupe - Items associés : obéissant, autodiscipliné, politesse, honorant ses parents et les anciens ainsi que [loyal, responsable].
8. Tradition - Objectif : respect, engagement et acceptation des coutumes et des idées soutenues par la culture ou la religion auxquelles on se rattache. Elles prennent souvent la forme de rites religieux, de croyances, et de normes de comportement - Items associés : respect de la tradition, humble, religieux, acceptant ma part dans la vie ainsi que [modéré, vie spirituelle].
9. Bienveillance - Objectif : la préservation et l’amélioration du bien-être des personnes avec lesquelles on se trouve fréquemment en contact (« l’endogroupe »). Les valeurs de bienveillance proviennent de la nécessité pour le groupe de fonctionner de manière harmonieuse. La bienveillance met l’accent sur le souci du bien-être des autres - Items associés : secourable, honnête, indulgent, responsable, loyal, amitié vraie, amour adulte ainsi que [sentiment d’appartenance, un sens dans la vie, une vie spirituelle].
10. Universalisme - Objectif : compréhension, estime, tolérance et protection du bien-être de tous et de la nature. Ceci contraste avec l’importance apportée à l’endogroupe pour les valeurs de bienveillance. Les valeurs d’universalisme proviennent du besoin de survie des individus et des groupes. Mais ce besoin n’est pas identifié tant que l’individu n’a pas été en contact avec d’autres groupes que celui de ses proches, et tant qu’il n’a pas pris conscience du caractère limité des ressources naturelles. L’individu peut alors réaliser que le fait de ne pas accepter que les autres soient différents et de ne pas les traiter de manière juste va provoquer un conflit mortellement dangereux. » (Schwartz, 2006, p 932-935).
Comme nous avons pu le voir plus haut, la conception de Schwartz contient, dés ses premiers écrits, un aspect structurel où certaines valeurs sont totalement antagonistes les unes des autres tandis que d’autres sont très proches. Différentes analyses statistiques lui ont permis de valider cette conception structurale (Schwartz & Bilsky, 1987, 1990 ; Schwartz & Boehnke, 2004). Les dernières analyses sur cette question permettent à Schwartz (2006) de proposer une structure circulaire des valeurs (cf Figure).
Figure. Modèle théorique des relations entre les dix valeurs de base (Schwartz, 2006)
Comme nous pouvons le voir sur la Figure pour Schwartz (2006), en plus des dix valeurs de base, il existe deux grandes dimensions sur lesquelles se rassemblent ou se différencient les grandes familles de valeurs.
« Deux grandes dimensions structurent les relations d’antagonisme et de compatibilité entre les valeurs et permettent de les résumer. Comme on le voit sur la Figure , une dimension oppose l’ouverture au changement (« openness to change ») et la continuité (« conservation »). Cette dimension rend compte du conflit entre les valeurs qui mettent en avant l’indépendance de la pensée, de l’action et des sensations ainsi que la disposition au changement (autonomie, stimulation), et celles qui mettent l’accent sur l’ordre, l’auto¬limitation, la préservation du passé et la résistance au changement (sécurité, conformité, tradition). La seconde dimension oppose l’affirmation de soi (« self-enhancement ») au dépassement de soi (« self-transcendence »). Cette dimension rend compte du conflit qui oppose les valeurs qui mettent en avant le bien-être et l’intérêt des autres (universalisme, bienveillance) aux valeurs qui mettent au premier plan la poursuite d’intérêts individuels, la réussite personnelle et la domination (pouvoir, réussite). L’hédonisme relève à la fois de l’ouverture au changement et de l’affirmation de soi » (Schwartz, 2006, p. 937).
Représentation intégrée des valeurs de base
(d’après Schwartz, 2006)