Le besoin de cognition a fait l’objet d’une définition en deux temps. La première conceptualisation de Cohen & al. (1955) repose sur une étude où des étudiants devaient lire des textes relativement structurés et d’autres qui ne l’étaient pas. Les auteurs ont observé que les étudiants, qui avaient préalablement passé une échelle permettant d’appréhender le besoin de cognition, ne faisaient pas les mêmes estimations en fonction du niveau de ce besoin. Pour Cohen & al. (1955), cette première approche du besoin de cognition est appréhendable, sous l’angle de la théorie de la Gestalt, comme une tendance à structurer son environnement. Dans cette perspective, un environnement non structuré provoque une frustration et donc une tension que l’individu cherche à réduire.
Bien qu’utilisant le même terme, Cacioppo & al. (1982) ont proposé une vision relativement différente de la précédente. Ces auteurs ont créé une échelle plus fiable (que celle de Cohen) permettant d’appréhender le besoin de cognition, ce qui n’avait pas été le cas dans l’étude de Cohen & al. (1955). Toutes les études ultérieures, qui ont ensuite montré l’intérêt que présente ce besoin, se sont donc appuyées sur cette échelle et sur la définition proposée par Cacioppo & al. (1982). Cacioppo & al. (1982), définissent le besoin de cognition, en tant que différence interindividuelle stable, comme une tendance à s’engager avec plaisir dans des activités cognitivement difficiles. Ce besoin est conçu sur un continuum bipolaire en fonction de sa force (faible ou forte). Cacioppo & al. (1996) estiment que cette conception du besoin de cognition est relativement proche de celle que propose Deci & Ryan (2002) de la motivation intrinsèque. La mesure du besoin de cognition est fortement corrélée à celle de la motivation intrinsèque puisque Amabile, Hill, Hennessey, and Tighe (1994) observent une corrélation significative de l’ordre de .69 entre les deux échelles. Pour autant, la motivation comprend des aspects non-cognitifs qui ne se retrouvent pas dans la mesure du besoin de cognition.
La spécificité du besoin de cognition en fait une mesure intéressante lorsqu’il s’agit de comprendre la façon dont les individus traitent des informations et c’est généralement dans cette perspective que de très nombreuses études l’ont utilisé (Cacioppo & al., 1996). En effet, les individus qui ont un besoin de cognition élevé ne rechignent pas à faire des efforts pour traiter les informations. Ils ont tendance par exemple à rester plus concentrés sur le cœur d’une activité de traitement qui requière des efforts cognitifs importants et donc, d’être moins distraits par des éléments périphériques (Cacioppo & al.,1982). Les recherches indiquent donc clairement que les individus qui ont un faible besoin de cognition sont plus influençables par des distracteurs périphériques que les individus qui ont un besoin de cognition élevé (Cacioppo & al., 1996). Les individus qui ont un besoin de cognition élevé ont donc une tendance naturelle à rechercher, à acquérir, à manipuler cognitivement les informations, des relations ou des événements pour leur donner un sens. Par contre, les individus qui ont un faible besoin de cognition vont davantage s’en remettre aux autres, à des conceptions simplifiées pour atteindre un niveau de structuration comparable. Les individus qui ont un besoin cognitif important expriment plus volontiers une attitude positive envers les activités ou les stimuli qui supposent de tenir un raisonnement ou de s’engager dans une résolution de problèmes. Par contre, il n’existe pas de différence entre ces deux catégories d’individus en ce qui concerne les tâches non intellectuelles (comme les activités sportives).
De nombreux résultats ont permis de vérifier la solidité de ces assertions (cf. Cacioppo & al., 1996 pour une revue) qui a de nombreuses implications dans le traitement social des informations.
Par exemple, les individus qui ont un besoin de cognition élevé ont tendance à rappeler plus d’informations présentées dans un message que les individus qui ont un faible besoin de cognition (Kassin, Reddy, & Tulloch, 1990). Pour les mêmes raisons, les individus qui présentent un fort besoin de cognition ont davantage tendance à former leurs impressions ou à changer d’attitude sur les éléments centraux plutôt que sur les éléments périphériques d’une argumentation (Haugtvedt, Petty, & Cacioppo, 1992). Dans la mesure où les individus ont un besoin de cognition élevé traitent davantage les informations, ils développent une argumentation plus solide, ce qui leur permet d’avoir une influence plus grande lorsque des décisions importantes doivent être prises, par exemple dans le cadre de jury de cours d’assise (Shestowsky & al., 1998).
Représentation intégrée du besoin de cognition
(d’après Cacioppo & al.,1982)