Pour Jones & Berglas (1978 ; Berglas & Jones, 1978), l’auto-handicap est une stratégie mise en place sciemment par l’individu afin de préserver l’estime qu’il a de lui-même. Les stratégies d’auto-handicap sont donc généralement utilisées dans les situations où les enjeux sont particulièrement importants et où les impacts sur l’estime de soi sont susceptibles d’être les plus mortifiants.

Les situations d’évaluation qui permettent d’établir le niveau de compétence de l’individu créent donc un contexte particulièrement favorable à l’utilisation de stratégies d’auto-handicap. Pour Jones & Berglas (1978), certains individus lorsqu’ils sont placés dans une telle situation vont chercher à empêcher les attributions qui pourraient mettre en cause leurs compétences en cas d’échec. Pour eux, c’est là le principal objectif des stratégies d’auto-handicap. Jones & Berglas (1978) définissent ces stratégies comme des actions, des choix ou des positionnements de performances qui donnent l’opportunité à l’individu d’externaliser (d’excuser) l’échec et d’internaliser la réussite. La définition que proposent Jones & Berglas (1978) des stratégies de l’auto-handicap fait explicitement référence aux attributions. Les individus ne sont pas sans ignorer que le locus externe (Weiner, 2005) permet de mettre hors de cause l’estime de soi en cas d’échec. De plus, si l’individu réussit malgré la présence de facteurs externes susceptibles de gêner sa performance, alors il bénéfice d’une attribution interne de compétence. Pour résumer, en cas d’échec, l’estime de soi est donc protégée et, en cas de réussite, elle est augmentée ; donc quelque soit le résultat elle ne peut être altérée. Pour expliquer le recours à ce type de stratégies, Jones & Berglas (1978 ; Berglas & Jones, 1978) utilisent le cadrage conceptuel que proposent la théorie de la résignation apprise (Peterson & al., 1993). En effet, les individus qui ont derrière eux un lourd passif de non contingence entre comportement et résultat (cf. chap. 4.3.1) estiment, en cas de réussite, que la réussite ne peut être reproduite et qu’ils sont des imposteurs car ils ne croient pas réellement avoir les compétences. Ces individus ont donc « appris » à mettre en place des stratégies qui laissent en permanence planer un doute sur l’attribution de leurs résultats. De plus, bien qu’autrui ait une certaine importance dans l’aménagement stratégique du doute, Jones & Berglas (1978 ; Berglas & Jones, 1978) estiment que ce dernier est surtout là pour les propres yeux de l’individu ; qui cherche, en quelque sorte, à se duper lui-même. En effet, l’individu en créant un flou sur les conditions d’attribution de la réussite, garderait ainsi l’illusion qu’il peut malgré tout contrôler la situation.

Ces différents phénomènes ont été démontrés de façon magistrale par Jones & Berglas (1978 ; Berglas & Jones, 1978) aux cours de différentes expériences, à la fois, sur l’utilisation d’alcool et de drogues. Dans l’une de ces expériences (Berglas & Jones, 1978 ; expérience 1, ils ont demandé à une centaine d’étudiants en psychologie de participer à une recherche sur l’effet de certaines drogues sur les performances intellectuelles.

Les expérimentateurs ont expliqué à chaque sujet que l’objectif de l’expérience était de comparer leurs scores de base à un pré-test à un deuxième score réalisé lui sous l’influence d’une drogue. L’expérimentateur explique également qu’une drogue (Actavil) devrait faciliter les performances intellectuelles alors que l’autre drogue (Pandocrin) devrait avoir l’effet inverse. Il précise également qu’il n’est pas certain que l’effet de ces drogues surgisse d’où leur présence dans ce laboratoire. Après ces explications, les sujets sont invités à effectuer le test. Il leur est expliqué que ce test permet de discriminer les individus qui sont supérieurement intelligents. À ce niveau, l’expérience introduit deux autres conditions de passation. La première est dite contingente car les activités ont une solution que peut trouver le sujet.

La seconde est dite non contingente car les problèmes sont insolubles sans que l’individu puisse le deviner. Cependant, dans cette dernière condition, les sujets reçoivent dans tous les cas des feedbacks de réussite.

Une fois le pré-test terminé, deux autres conditions sont introduites. Pour la moitié des étudiants, l’expérimentateur félicite ouvertement le sujet pour la qualité de sa performance (condition publique). Pour l’autre moitié, il est expliqué aux sujets que ses performances doivent rester confidentielles et qu’à ce titre son nom n’apparaîtra que sous forme de code afin de garantir son anonymat (condition privée). Ensuite, les sujets sont invités à choisir l’une des deux drogues au dosage qu’il désire. Ils ont également l’option de ne prendre aucune des deux drogues, l’expérimentateur expliquant qu’il y a également besoin de sujet contrôle. Enfin, après l’injection de la drogue tous les sujets sont invités à réaliser le deuxième test.

Conformément aux hypothèses, il apparaît globalement que les sujets qui sont dans la condition de non contingence choisissent significativement plus la Pandocrin (drogue qui affecte les résultats). Conformément aux hypothèses, ce choix n’est significativement pas différent dans les conditions publique ou privé. Conformément à la théorie de l’auto-handicap, le choix de la Pandocrin permet aux individus de masquer une attribution en termes de capacité en cas d’échec. Le fait que les individus qui optent pour cette stratégie de masquage se trouvent dans la condition de non contingence s’explique par le fait que dans cette condition, les individus ont toutes les raisons du monde de douter de leurs capacités réelles à réaliser une bonne performance, lors de la seconde tâche.

Depuis la mise en évidence de l’auto-handicap par Jones & Berglas (1978 ; Berglas & Jones, 1978), il existe une littérature importante consacrée à ce propos (cf. Rhodewalt & Tragakis, 2002 pour une revue). De plus, différents travaux ont pu allonger la liste des stratégies que les individus sont susceptibles d’utiliser. À titre d’exemple, il est possible de citer la réduction ou l’évitement de l’effort (Pyszczynski & Greenberg, 1983), la diminution de la pratique (Baumeister, Hamilton & Tice, 1985) ou encore les symptômes psychologiques provoqués par un stress excessif (Smith, Snyder & Handelsman, 1982).

Représentation intégréede la stratégie de l’auto-handicap (d’après Jones & Berglas, 1978)