Fredrickson (2001) estime que les différentes définitions de l’émotion, bien que très diverses au niveau de leur contenu, s’accordent pour dire que l’émotion peut être conceptualisée comme réponse composée d’une multitude de tendances qui se déploient en un temps relativement court. L’émotion se distingue de l’affect, qui est un concept plus général faisant référence à des sensations accessibles consciemment. L’affect est l’une des composantes de l’émotion mais est aussi présent dans les sensations physiques, les attitudes, l’humeur ou les traits affectifs.

L’émotion serait liée à des circonstances qui sont personnellement signifiantes pour l’individu (elle se réfère à un objet), alors que les affects sont flottants et avec des objets plus ou moins bien définis. De plus, les émotions entrent dans différentes familles telle que la peur, la colère ou l’intérêt, alors que les affects connaissent simplement une variation qui s’étale sur un continuum bipolaire qui, en fonction des auteurs, peut être l’agrément et l’activation ou encore la distinction entre positif et négatif.

La théorie que propose Fredrickson (2001, 1998) se centre exclusivement sur les émotions telle qu’elle les définit et plus précisément sur les émotions positives que sont la joie, l’intérêt, la satisfaction, la fierté et l’amour. Pour elle (2001), les émotions positives ont un impact motivationnel évident car elles engagent l’individu à interagir avec son environnement pour l’explorer ou le maîtriser. Elle estime, à ce niveau, que les émotions positives sont, comme les émotions négatives, « des tendances spécifiques à l’action » (specific action tendencies). La tendance spécifique à l’action est une caractéristique qui est bien repérée pour les émotions négatives. Par exemple, la peur est liée à la tendance à s’échapper ou la colère à celle d’attaquer, pour ne citer que ces deux exemples. Cette tendance à l’action s’inscrit parfaitement dans une perspective évolutionniste puisque les émotions auraient ainsi permis à l’homme de s’adapter. Une autre interprétation complémentaire, qui a été plus simple à démontrer d’un point de vue biologique, réside dans le fait que les émotions ont une fonction d’activation psychophysiologique qui prépare et soutient l’action de l’individu en adaptant, par exemple, le corps à la course dans le cas de la peur et en focalisant l’attention sur certains types de stimuli.

La théorie Fredrickson (2001, 1998) s’inscrit en droite ligne des perspectives évolutionnistes et psychophysiologiques de cette tendance à l’action qui seraient inhérentes aux émotions positives. La théorie de l’élargissement constructif des émotions positives postule que les cinq émotions positives citées précédemment, bien que distinctes, partagent le fait d’ouvrir momentanément le répertoire des actions et de la pensée de l’individu, et ce, de façon à construire ses ressources personnelles ; que ce soit physiquement, psychologiquement ou physiologiquement. Dans cette perspective, les émotions positives acquièrent un sens du point de vue de l’évolution puisqu’elles permettent aux espèces de parfaire leur adaptation à l’environnement. Bien que les émotions positives puissent apparaître dans des circonstances hostiles, elles ne peuvent surgir quand l’individu est directement menacé. Dans certaines situations, l’individu a, en effet, tout intérêt à ne pas rechercher l’ouverture mais plutôt à être hermétique aux stimulations plaisantes et à se préparer aux actions nécessaires à sa survie. Autrement dit, les émotions négatives ont une fonction adaptative directe, mais dont l’horizon temporel serait très limité, et ce, contrairement aux émotions positives qui, en plus d’une fonction adaptative immédiate limitée, soutiendraient l’adaptation à plus long terme de l’individu. La joie va créer cet élargissement constructif en incitant à jouer, en repoussant les limites et en poussant à la créativité. L’intérêt encourage l’individu à explorer, à rechercher de nouvelles informations, de nouvelles expériences et à s’impliquer personnellement dans le courant de l’activité. La satisfaction forge l’élargissement constructif en poussant l’individu à savourer certaines circonstances et en intégrant ces dernières directement dans le self. La fierté favorise l’élargissement constructif en incitant l’individu à partager ses réalisations avec les autres, encourageant la perspective d’aller encore plus loin. Enfin, l’amour qui est conceptualisé comme l’amalgame de différentes émotions, crée les conditions de promiscuité et de récurrence qui favorise la découverte de la personne aimée.

Les émotions positives peuvent également se révéler être un antidote aux émotions négatives en annulant les actions de ces dernières. Par exemple, Fredrickson & Levenson (1998) ont montré que les impacts cardiovasculaires des émotions négatives étaient annulés lorsque les individus ressentaient des émotions positives. Un autre aspect intéressant, prometteur en termes de recherche, est qu’il semblerait que certains individus utilisent les émotions positives de manière résiliente et pour générer une spirale positive lorsqu’ils auraient tendance à être entraîné dans certaines spirales négative telle que celle de la dépression (Fredrickson, 2001).

Représentation intégrée de la théorie de l’élargissement constructif
des émotions positives (d’après Fredrickson, 2001)