Le raisonnement que tient Weiner (2006) pour formuler sa théorie attributionnelle des émotions s’appuie principalement sur les attributions individuelles. Le point de départ de cette théorie se trouve dans la distinction subtile que fait l’auteur entre cause et raison. Pour lui, la théorie attributionnelle telle qu’elle est formulée actuellement en psychologie, non seulement néglige les raisons mais, de plus, entretient avec ces dernières une confusion causale.

Les analyses attributionnelles, telles que Weiner les conçoit, commencent avec la prise en compte d’un résultat et sont utilisées pour expliciter les états finaux ou leurs conséquences plutôt que les actions. Ainsi, dans cette perspective, une théorie de l’attribution n’explique pas pourquoi un individu poursuit un cursus universitaire mais plutôt pourquoi il réussit ou il échoue dans ce cursus. Dans cette perspective, les raisons sont liées aux actions intentionnelles qui sont produites par l’exercice de la libre volonté. La personne qui décide de faire tel ou tel choix va justifier sa décision aux travers de différentes raisons. Les causes, pour leur part, peuvent s’appliquer à des états finaux intentionnels ou non-intentionnels (qui échappent à la clairvoyance de l’individu).

Cette question de l’intentionnalité de l’action va de pair avec la notion de responsabilité qui permet d’expliquer l’émergence d’une émotion de pitié en lieu et place d’une autre alternative telle que la colère. Cependant, cette relation entre émotion et raison n’a de sens que dans le cadre de ce que Weiner appelle la métaphore de l’homme comme « juge ». En effet, cette notion de responsabilité admet que les êtres humains sont, en permanence, en train de juger non seulement leurs actions (attribution intrapersonnelle) mais aussi et surtout celles d’autrui (attribution interpersonnelle).

C’est au niveau de cette dernière forme d’analyse et plus précisément au niveau des résultats de ces actions que la théorie attributionnelle prend toute son importance. Dans le cadre de sa théorie émotionnelle, Weiner (2006) propose de prendre en compte principalement trois dimensions attributionnelles : le locus, la stabilité et la contrôlabilité. Weiner admet qu’il est également possible de prendre en compte une quatrième dimension, la globalité (Abramson & al., 1978) mais que, dans le cadre de son analyse, cette dernière n’est pas d’un grand intérêt. Dans ce triptyque attributionnel, une dimension revêt une importance centrale pour l’évaluation de la responsabilité et donc pour le jugement que profère le juge que nous sommes tous : la contrôlabilité. Cette dimension permet d’apprécier le degré d’altérabilité d’une cause. Par exemple, l’effort est quelque chose qui est volontairement altérable alors que certaines aptitudes comme l’intelligence sont perçues comme non altérables par l’individu. Pour autant, contrôlabilité et intentionnalité restent deux concepts distincts puisque la contrôlabilité fait référence, comme nous avons pu le voir plus haut, aux propriétés causales, alors que l’intentionnalité est directement liée aux motivations ou aux objectifs d’un individu et donc aux raisons de son action. Cependant, bien que différents, ces termes partagent de nombreux points communs qui permettent, tous deux, d’inférer la responsabilité personnelle. La responsabilité admet également que l’individu observé a, non seulement, causé le résultat mais, surtout, qu’il est totalement libre de le faire. Autrement dit, l’inférence de responsabilité implique que l’agent causal ait une totale liberté de choix.

Weiner (2006) estime que toutes les causes sur lesquelles l’individu peut agir volontairement peuvent en cas d’échec conduire à émettre une sentence de condamnation et de punition alors que pour le même résultat, les causes considérées comme incontrôlables ne vont évoquer aucune réprimande. Ce jugement est également médiatisé par les émotions. Les individus qui sont jugés responsables de leurs échecs ont tendance à provoquer davantage la colère de la part de l’observateur alors que si l’individu n’est pas jugé responsable de ses échecs, il provoque plutôt de la sympathie. La séquence explicative complète que propose Weiner est la suivante :

Événement => cause « propriété causale => responsabilité =>émotion => réponse

Exemple :

échec => effort => contrôlable => responsable => colère => punition

Cette séquence permet également à Wiener (2006) de comprendre comment certaines idéologies politiques peuvent influer sur cette séquence explicative.

Partant des résultats d’une étude américaine effectuée sur les individus se déclarant républicains ou conservateurs, Weiner montre que les convictions politiques agissent sur la relation entre événement et cause, ce qui implique une réaction en chaîne différente et donc des émotions qui peuvent être opposées en partant du même événement. Par exemple, pour les conservateurs, les individus sont directement responsables de leur pauvreté (ex : manque d’effort) ce qui les conduit à éprouver plutôt de la colère face à quelqu’un qui leur demande de l’aide. À l’inverse, les libéraux, qui ont tendance à expliquer cette pauvreté par des causes incontrôlables (ex : classe sociale d’origine) vont avoir tendance à éprouver de la sympathie et donc les aider.

Wiener ne s’arrête pas là puisqu’il estime que le même raisonnement attributionnel peut être appliqué à d’autres émotions, telle que la colère ou la sympathie.

En reprenant les différentes distinctions précédentes entre attribution de contrôlabilité et de responsabilité, et en distinguant les jugements intra-personnels et interpersonnels, il propose une classification émotionnelle de 12 émotions morales.

[Représentation intégrée de la théorie attributionnelle de l’émotion
(d’après Weiner, 2006)>35]