Dans l’une de ses premières expérimentations, Locke (1967) a demandé à des sujets de résoudre des problèmes arithmétiques simples au cours de plusieurs séances. Les durées de résolution attribuées ont été modifiées séance après séance pour empêcher les sujets de se fixer un objectif à atteindre. La recherche portait sur l’étude de quatre conditions expérimentales. Dans la première, « connaissance des résultats », l’expérimentateur donnait aux sujets le nombre de réponses correctes qu’ils devaient fournir à la fin de chaque session. Dans le deuxième, les sujets avaient simplement la consigne suivante : « faites de votre mieux ». Dans la troisième, « but difficile », les objectifs étaient calculés par rapport aux performances atteintes dans le groupe « faites de votre mieux ». Un but était défini comme difficile lorsque 10% des sujets du groupe « faites de votre mieux » dans la même séance pouvaient l’atteindre. L’expérimentateur demandait aux sujets d’atteindre ou de dépasser le but. Enfin, dans la dernière condition, les sujets n’avaient ni connaissance de leurs performances, ni de leurs objectifs. Les résultats ont montré que les meilleures performances sont obtenues dans la condition « but difficile ».
Dans cette expérience, la motivation est induite par le positionnement explicite d’un but. La théorie du positionnement d’objectif (goal setting theory) estime que le comportement humain est gouverné par des intentions et des objectifs conscients. Cependant, comme l’indiquent Locke & Latham (1990), cela ne veut pas dire que toutes les actions humaines sont totalement sous le contrôle de processus conscients. Il reste que le choix volontaire de l’être humain de poursuivre tel ou tel objectif est un processus nécessairement conscient, même si les comportements qui lui permettent d’atteindre ses buts ne le sont pas toujours. Au cours des trois dernières décennies, les différentes études qui ont été réalisées dans ce champ de recherches, ont mis à jour de nombreuses caractéristiques liées au but, à l’environnement ou à l’activité ; caractéristiques à même de moduler l’impact motivationnel du positionnement d’objectif.
Depuis ces quarante dernières années, le positionnement d’objectif s’est avéré être un axe de recherche remarquablement fructueux avec un souci de validité écologique permanent, notamment dans le monde du travail. Depuis 2002, Locke & Latham (2002 ; Latham & Locke, 2007) ont proposé une modélisation d’un cycle dit de « haute performance » (high performance cycle) résumant tous les facteurs qui doivent être pris en compte pour que le positionnement d’objectif ait un impact significatif sur les résultats des individus et aussi des groupes. Pour Locke & Latham (2002), le positionnement d’objectif affecte la performance selon quatre mécanismes.
A. Fonction directive - Les buts dirigent l’effort et l’attention. Par exemple, les individus qui doivent compter le nombre d’articles dans un texte vont faire moins attention au sens du texte.
B. Fonction énergisante - Pour la théorie du positionnement d’objectif, il existe une relation linéaire entre le niveau de difficulté du but et la performance ; plus le but est difficile, meilleures sont les performances. Ces résultats sont liés à l’ajustement entre l’effort et la difficulté de l’objectif que cherche à atteindre l’individu. Si l’individu cherche à atteindre un but facile alors il ne va faire que très peu d’effort, contrairement au but qu’il imagine d’emblée comme difficile. Un but doit également être spécifique. La spécificité fait référence à la possibilité de décrire précisément le but à atteindre. Les études sur le but ont généralement comparé des conditions où l’objectif est difficile et spécifique comme « Vous devez résoudre 30 problèmes arithmétiques » à d’autres conditions où l’objectif est relativement vague comme « faites de votre mieux » ou encore « vous devez résoudre beaucoup d’exercices ».
C. Persistance - La persistance peut être définie comme l’effort maintenu dans le temps. C’est ainsi que de nombreuses études ont pu montrer que des buts difficiles et spécifiques entraînent les sujets à travailler plus longtemps que lorsqu’ils n’ont pas de but.
D. Stratégique - Pour parvenir à atteindre un objectif il ne suffit pas, le plus souvent, de simplement faire des efforts. L’aspect stratégique est crucial. L’assignation d’objectif a donc pour effet d’inciter l’individu à découvrir, ou à développer, les stratégies lui permettant d’atteindre le but fixé. Les résultats sont, à ce niveau, riches et complexes. C’est pourquoi Locke & Latham (2002) distinguent 6 autres points.
- Lorsqu’il est confronté à une tache, l’individu active les connaissances stockées et les différentes compétences qu’il possède (compétences en adéquation avec la tâche).
- S’il n’est pas en mesure d’atteindre l’objectif avec les connaissances automatisées qu’il possède, l’individu se lance dans la recherche d’habilités qu’il estime connexes à celles de la situation courante afin de les mettre en œuvre.
- Si l’activité est entièrement nouvelle pour l’individu, alors ce dernier s’engage dans le développement de nouvelles stratégies.
- Plus l’individu possède un sentiment d’efficacité personnelle élevée sur l’activité, plus il développe des stratégies qui sont en adéquation avec l’activité.
- Lorsque les activités sont complexes, Earley, Connolly, & Ekegren (1989) estiment que les buts difficiles et spécifiques ne permettent pas toujours d’atteindre une meilleure performance que les buts plus vagues du type « faites de votre mieux ». Quatre cas de figures sont susceptibles de détériorer la performance : lorsqu’elle est davantage fonction de la stratégie que de l’effort engagé ; lorsqu’il y a plusieurs stratégies possibles ; lorsque l’identification de la stratégie optimale n’est ni manifeste ni facile ; lorsqu’il y a peu d’opportunités de tester les hypothèses rétrospectivement (retours en arrière et réessayer une stratégie). Un des moyens de contourner ce problème est d’orienter les individus vers un but d’apprentissage (Dweck & Legget, 1988), ce qui a pour effet de les inciter à découvrir les moyens adéquats à la maîtrise de l’activité.
- Les effets d’un entraînement sur l’activité-cible dépend de l’adéquation entre cette dernière et l’objectif poursuivi.
Dans l’expérience d’Earley & Perry (1987), les sujets sont entraînés à l’utilisation d’une stratégie possible. Trois types de tâches sont ensuite donnés aux différents groupes de sujets ayant un but : une tâche qui s’accorde parfaitement à l’utilisation de la stratégie, une autre où l’utilisation de la stratégie n’est pas tout à fait adéquate pour la tâche et doit donc induire une chute de la performance, enfin une tâche où la stratégie ne peut être utilisée. Aucune stratégie n’est suggérée au groupe « faites de votre mieux ». Les auteurs montrent qu’un but difficile permet de meilleures performances lorsque la tâche est, soit parfaitement adéquate à l’utilisation de la stratégie, soit lorsque la tâche est parfaitement inadéquate à cette même utilisation (les sujets alors l’abandonnent). Par contre, lorsque la tâche permet l’utilisation de la stratégie, alors que celle-ci n’est pas tout à fait adéquate, les sujets de ce groupe ont de moins bonnes performances que les individus dans la condition « faites de votre mieux ».
Locke & Latham (2002) listent également un certain nombre d’effets, qu’ils appellent « modérateurs », qui sont susceptibles d’avoir un impact positif sur le positionnement d’objectif.
1 - Acceptation de l’objectif - Il semble que l’assignation d’un objectif ne peut avoir un effet motivant que si la personne l’accepte. Deux variables sont susceptibles d’avoir un impact considérable sur l’acception de l’objectif :
1.1 Importance de l’objectif - Il existe différentes possibilités pour convaincre les individus qu’il est important d’atteindre l’objectif, en voici quelques uns : acceptation en public, faire en sorte de convaincre les individus que cet objectif est en commun avec l’un des leurs (ce qui suppose de l’expliquer), leadership, incitation monétaire (la somme doit être relativement importante). Cependant, il est à noter que la difficulté de l’objectif et l’incitation monétaire interagissent. Pour que l’incitation monétaire fonctionne (sous forme de prime), il ne faut pas que l’objectif soit trop difficile.
1.2. Le sentiment d’efficacité personnelle augmente la probabilité que l’individu accepte l’objectif.
2 – Feedback - Feedback et but sont plus efficaces ensemble que séparés. C’est à ce niveau que la théorie de l’assignation d’objectif et l’auto-efficacité se confondent le plus. Pour les deux théories, l’objectif permet à l’individu de se fixer un standard à atteindre. Le feedback lui donne la possibilité de réguler son effort, sa persistance et de mesurer l’efficacité des stratégies qu’il a mis en place. Le feedback agit également sur la satisfaction et l’insatisfaction de l’individu.
3 - Complexité de la tâche - L’effet des objectifs sont dépendants des compétences qui permettent à l’individu de découvrir les stratégies appropriées. La taille de l’effet pour les activités complexes est plus petite que pour les activités simples car les compétences des individus sont plus variables dans le premier cas.
Représentation intégrée de l’assignation d’objectif
(d’après Locke & Latham, 2002)