Le modèle de Rhodewalt & Vohs (2005) permet de proposer une explication globale des actes défensifs que met en place l’individu tels que les stratégies d’auto-handicaps (Jones & Berglas, 1978) ou de pessimisme défensif (Norem & Cantor, 1986b) pour ne citer que ces deux exemples. Le cœur des explications, que ces auteurs donnent, est à chercher du côté de l’estime de soi et plus précisément dans ses constituants. Deux composants principaux sont à distinguer dans cette perspective : l’appréciation du soi (self-liking) et la compétence du soi (self-competency). L’appréciation du soi est une estimation que se fait l’individu du regard positif que portent les autres sur lui.

La compétence du soi est dérivée de l’évaluation de ce que peut faire l’individu. Sans pour autant diminuer l’importance que peut avoir l’importance du regard d’autrui pour l’estime de soi, le modèle de Rhodewalt & Vohs (2005) interroge principalement l’impact négatif que peuvent produire certains résultats sur la compétence du soi.

Pour établir leur modèle, Rhodewalt & Vohs s’appuient sur un certain nombre de conceptions relativement précises qui, articulées les unes avec les autres, donnent un cadre théorique (relativement) intéressant pour comprendre l’ensemble des stratégies défensives. Leur conception de la compétence implique la capacité de produire, sur demande, un comportement effectif et orienté vers un objectif. Dans la mesure où la compétence présume de l’habileté à produire les conséquences désirées, les feedbacks de performance, les succès et les échecs, impliquent quelque chose sur le degré de compétence que possède l’individu. Les performances sont liées à l’estime de soi via le diagnostique que permettent les informations de performance. Or, cette évaluation des performances peut, dans des contextes nouveaux, être remise en cause. Dans ce cas, l’individu envisage la possibilité d’être confronté à la possibilité d’une remise en cause de ses compétences.

Le modèle de Rhodewalt & Vohs (2005) repose sur le fait (sans chercher à l’expliquer) que les individus valorisent différentes images qu’ils ont d’eux-mêmes, images parmi lesquelles celles liées à la compétence, occupent une place importante. Parallèlement, ils sont motivés pour produire des résultats qui leur permettent de valider ces compétences. L’importance que revêt la perception de compétence pour l’estime de soi est tellement centrale pour l’individu qu’il va développer des moyens de défense psychologique lui permettant de préserver cette image qu’il a de lui-même tout en faisant en sorte qu’elle reste crédible et vraisemblable.

La notion de défense psychologique reflète, ici, le fait de chercher à maintenir une certaine image de soi, y compris dans ses propres croyances et ce malgré des feedback négatifs. Ces actes de défenses peuvent être cognitifs, affectifs, comportementaux, porter sur des bases interpersonnelles ou une combinaison de tout ou partie de ces derniers éléments. L’objectif de ces actes défensifs est de défendre le self en changeant ou en altérant l’interprétation de la réalité psychique. Considérées sous cet angle, les défenses psychologiques sont interprétables comme des cas d’autorégulation. Pour Rhodewalt & Vohs (2005), il existe deux grandes formes de motivations qui se combinent pour expliquer le recours aux défenses psychologiques.
La première est celle des motivations distales. Plusieurs paramètres s’imbriquent pour expliquer la présence d’une motivation à même de générer un cadre général motivationnel susceptible d’inciter les individus à mettre en place des défenses psychologiques. Un premier paramètre est lié à l’histoire plus ou moins capricieuse qui leur a permis de forger un certain nombre de croyances sur leurs compétences, capacités ou habiletés. Un deuxième paramètre est l’importance que revêtent ces compétences, notamment aux yeux de personnes proches de l’individu. Un dernier paramètre concerne la conception fixiste ou incrémentale que l’individu a de l’intelligence (Dweck & Legget, 1988). La motivation distale, à développer des stratégies psychologiques de défense, est forte quand les individus ont une perception de compétence qui est bonne mais qui reste en même temps fragile, quand les compétences en jeux sont centrales pour l’estime de soi et enfin lorsque l’individu a développé une conception fixiste de l’intelligence. À l’inverse, cette même motivation distale est faible lorsque les individus éprouvent une confiance inébranlable en leurs compétences, considèrent que la compétence cible est périphérique pour l’estime de soi et ont une vision incrémentale de l’intelligence.

La seconde est celle des motivations proximales. En plus de la motivation distale, Rhodewalt & Vohs (2005) estiment qu’il existe une motivation proximale qui va être plus ou moins forte en fonction des éléments présents dans le contexte auquel l’individu se trouve confronté. En effet, le contexte peut générer une pression plus ou moins forte de production de résultats en relation avec les compétences de l’individu. Les situations d’examens, où l’individu doit faire preuve de ses compétences dans des situations qui sont totalement différentes de situations habituelles d’évaluations, sont des exemples typiques de motivations proximales.

Rhodewalt & Vohs (2005) proposent de classifier les stratégies qu’utilisent les individus pour se défendre psychologiquement en deux catégories. Cependant, les auteurs estiment que cette distinction est artificielle dans la mesure où, la plupart du temps, les stratégies qui sont effectivement utilisées par les individus reposent sur les deux catégories.

La première catégorie, celle des stratégies intra personnelles, caractérise le recours à un processus qui se passe essentiellement dans la tête de l’individu et qui implique une interprétation et une distorsion de la signification. L’objectif de ces tactiques est de permettre des interprétations du self et de la situation qui préservent l’image souhaitée des compétences. Plusieurs mécanismes entrent dans cette catégorie. L’attribution est, sans doute, le mécanisme le plus fondamental et le plus utilisé en tant que stratégie intra personnelle de défense. Les individus qui utilisent ces mécanismes vont avoir tendance à s’auto-attribuer les réussites et à attribuer les échecs aux autres. Une autre stratégie de défense psychologique consiste à sélectionner en mémoire les événements qui sont plus avantageux pour l’individu que les autres. Les stratégies de défense psychologique de la deuxième catégorie sont dites interpersonnelles, car l’individu utilise les autres personnes pour soutenir les perceptions et les pensées qu’il a sur lui-même. Une particularité de ces comportements défensifs interpersonnels est qu’ils créent ou manipulent les réactions des autres personnes, ou encore que le comportement de l’individu, qui utilise ces stratégies, à une implication directe sur les relations qu’il entretient avec les autres. Ainsi, l’individu peut manipuler le degré de proximité qu’il entretient avec autrui dans le but de protéger ou d’augmenter l’estime qu’il a de lui-même. Par exemple, l’individu qui est totalement dépassé en termes de score par un ami proche sur l’un de ses domaines de prédilection va avoir tendance à estimer qu’il est moins proche de lui. L’individu peut aussi choisir de diminuer l’importance de ce domaine de compétence ou encore de saboter sciemment les informations qui pourraient l’aider dans l’avenir à obtenir une performance similaire. Plus simplement, il peut aussi réagir par de la colère et de l’hostilité.

La seconde catégorie de stratégies fréquemment utilisées, est le recours à l’auto-présentation. Par exemple, les individus vont faire une présentation avantageuse d’eux-mêmes quand ils se sentent menacés ou se mettent à rechercher les approbations quand ils se sentent rejetés.

Représentation intégrée du cycle d’autorégulation compétence-défense (d’après Rhodewalt & Vohs, 2005)