La théorie psychanalytique a marqué, non seulement la psychologie, mais aussi la société occidentale dans son ensemble. Cette théorie n’est, bien évidemment, pas une théorie motivationnelle, mais le regard qu’elle porte sur l’homme est suffisamment large pour qu’il soit possible de l’aborder sous l’angle de la motivation. En effet, tout comme la psychanalyse propose une interprétation des comportements humains frappée du sceau de l’inconscient, elle fournit également une explication assez sophistiquée permettant d’en expliquer les ressorts.
Avant de s’intéresser pleinement aux rouages de la motivation tels que les décrit la psychanalyse il faut, dans un premier temps, rappeler que cette théorie repose sur un postulat de base qui n’a pas été repris tel quel par les autres conceptions motivationnelles : l’inconscient (bien qu’il existe une multitude de conceptions du non-conscient par ailleurs).
Pour la psychanalyse, l’individu ne peut structurellement pas accéder aux véritables raisons de ses actions. Freud explique ce phénomène au travers la présence de différentes structures : le « ça », le « moi » et le « surmoi ». Le « ça » est totalement inaccessible à la conscience ; il est donc possible de dire qu’il est structurellement inconscient dans la conception freudienne. Les pensées du « moi » (directement au contact avec la réalité contrairement au « ça », dans la conception Freudienne) peuvent elles aussi être inconscientes du fait de divers mécanismes psychiques de refoulement. Pour la psychanalyse, le comportement individuel est le jouet de forces qui dépassent la conscience de l’individu.
Pour expliquer les « véritables » raisons de l’action humaine il est donc préalablement indispensable d’en comprendre la « mécanique » inconsciente. Pour Freud, le « ça » est la structure psychique qui vient avant toutes les autres, c’est donc elle qui est le creuset originel de toutes les actions humaines. Les structures suivantes (le « moi » et le « surmoi ») se contentent, soit de modeler les forces issues du « ça » (en les rendant socialement acceptables, par exemple), soit de les refouler (et donc de les empêcher d’accéder à la conscience).
« Nous donnons aux forces qui agissent à l’arrière-plan des besoins impérieux du ça et qui représentent dans le psychisme les exigences d’ordre somatique, le nom de pulsion (…). On peut distinguer une multitude de pulsions et c’est d’ailleurs ce que l’on fait généralement. Il importe de savoir si ces nombreuses pulsions ne pourraient pas se ramener à quelques pulsions fondamentales. Nous avons appris que les pulsions peuvent changer de but (par déplacement) et aussi qu’elles sont capables de se substituer les unes aux autres, l’énergie de l’une pouvant se transférer à un autre(…). Après de longues hésitations, de longues tergiversations, nous avons résolu de n’admettre l’existence que de deux pulsions fondamentales : l’éros et la pulsion de destruction (les pulsions, opposées l’une à l’autre, de conservation de soi et de conservation de l’espèce, ainsi que l’autre opposition entre amour du moi et amour d’objet, entre dans le cadre de l’éros). Le but de l’éros est d’établir de toujours plus grandes unités, donc de conserver : c’est la liaison. Le but de l’autre pulsion, au contraire, est de briser les rapports, donc de détruire les choses. Il nous est permis de penser de la pulsion de destruction que son but final est de ramener ce qui vit à l’état inorganique et c’est pourquoi nous l’appelons aussi pulsion de mort (…). Dans les fonctions biologiques, les deux pulsions fondamentales sont antagonistes ou bien combinées. C’est ainsi que l’action de manger est une destruction de l’objet avec pour but final l’incorporation (…). Il ne saurait être question de confiner chacune des deux pulsions fondamentales dans une quelconque des régions du psychisme, car on les rencontre nécessairement partout. Voici comment nous nous représentons l’état initial : toute l’énergie disponible de l’éros, que nous appellerons désormais la libido, se trouve dans le moi-ça encore indifférencié et sert à neutraliser les tendances destructrices qui y sont également présentes (pour désigner l’énergie de la pulsion de destruction nous ne disposons pas d’un terme analogue à celui de libido) (…). Il est difficile de dire ce que devient la libido dans le ça et dans le surmoi. Tout ce que nous en savons concerne le moi où s’accumule, au début, toute la charge disponible de libido. C’est à cet état de choses que nous donnons le nom de narcissisme primaire absolu. Il persiste jusqu’au moment où le moi commence à investir libidinalement les représentations d’objets, à transformer en libido d’objet la libido narcissique. Durant toute la vie, le moi demeure le grand réservoir d’où les investissements libidineux partent vers les objets et où aussi ils sont ramenés, à la manière d’une masse protoplasmique qui pousse ou retire ses pseudopodes. » (Freud, 1946, p 7 à 9).
La théorie Freudienne postule donc l’existence de deux pulsions fondamentales : « éros » et la « pulsion de mort ». Freud admet l’existence d’autres pulsions potentielles qu’il ne nomme pas et qui, de toute façon, reste subordonnées aux deux précédentes. Il est important de noter que si la traduction française utilise le terme de « pulsion » pour traduire ce qui se trouve à l’origine psychologique du comportement humain, en anglais le terme utilisé est celui d’« instinct ». Du point de vue des théories motivationnelles le terme de « pulsion » n’a, en France, pas débordé le cadre des théories psychanalytiques, donnant presque au passage à cette théorie un statut particulier. Toute référence aux pulsions est effectivement associée en français à des phénomènes inconscients, inaccessibles à la conscience, ce qui n’est absolument pas le cas pour le terme d’« instinct ». Cependant, avec les évolutions théoriques, l’instinct a perdu le sens qui lui était réservé à l’époque freudienne pour finalement être restreint au comportement animal. Le terme de « pulsion », lui, est resté en quelque sorte en dehors des atteintes du temps et son acception est actuellement difficilement compréhensible en dehors d’une théorie psychanalytique.
Pour Freud, les pulsions ont quatre propriétés fondamentales. Premièrement, elles ont une source somatique. Deuxièmement, elles correspondent à une force dont l’intensité est égale au besoin dont elles sont issues. Troisièmement, elles ont un objectif qui doit permettre d’éliminer d’une manière ou d’une autre leur source. Quatrièmement elles investissent un « objet », une personne ou une chose, interne ou externe, au travers duquel l’objectif peut être atteint.
Il est intéressant de noter que les deux pulsions fondamentales à la base du comportement humain ne doivent pas être confondues avec leur énergie, au moins pour « éros » qui se distingue de la libido. Cette dernière « se borne » à représenter, comme nous avons pu le voir précédemment, toute l’énergie disponible de la pulsion de vie.
Nous voyons ici un autre aspect de la théorie psychanalytique, au cœur des différentes « topiques » freudiennes : l’énergie psychique. En effet, Freud est sans doute l’un des premiers théoriciens à concevoir que le travail psychique requiert de l’énergie. C’est la présence de cette énergie qui explique l’émergence de la pensée. Cette énergie est perceptible jusque dans les actes ou paroles « inconscients » que produit l’individu.
L’énergie connaît, dans la théorie freudienne différents états. Elle peut être conservée si elle n’est pas utilisée. C’est ainsi que la libido refoulée doit malgré tout trouver un exutoire en passant par des voies d’expressions inconscientes.
La conception Freudienne de l’énergie psychique repose sur les mêmes bases que celles qui permettent d’expliquer le drive (Hull, 1943). Tout comme pour le drive, l’énergie psychique est conçue comme étant quelque chose d’irritant pour l’organisme qui n’aspire qu’à revenir à l’absence de toute tension interne. Il est donc possible de dire que la conception freudienne est homéostatique et que c’est l’état de besoin qui créé une énergie qui vise à la réduction de ce besoin, jusqu’à son élimination complète (principe de nirvana).
Du point de vue du modèle intégratif, deux niveaux d’explications motivationnelles peuvent être distingués. Les pulsions expliquent l’origine psychologique de la motivation, tandis que l’expression de ces pulsions se trouve au niveau des motifs.
Les pulsions freudienne déversent leur énergie dans le « moi » qui, contrairement au « ça » qui est régi par le principe de plaisir, est soumis au principe de réalité. Le « moi » est, en lui-même, un lieu d’expression de cette énergie (narcissisme) mais il est aussi un moyen qui donne lieu à l’investissement d’objets libidineux (passions, jeux, sexualité, relations, travail…). Les actions de l’individu sont également soumises à une sorte de filtrage de la part d’une autre instance psychique, le « surmoi » qui, en générant de l’anxiété au travers de remords, de regrets, en dépréciant l’estime de soi et autres pressions internes, empêche l’expression de certains comportements jugés comme déviants par l’individu. Ce mode de fonctionnement peut être qualifié de « normal » dans le cadre psychanalytique. Cependant, ce modèle permet également d’expliquer certains cas de dysfonctionnement quand l’énergie psychique, qui ne peut trouver d’accès à la réalité, s’empare directement du comportement en provoquant troubles et symptômes névrotiques
Représentation intégrée de la théorie psychanalytique (d’après Freud, 1946)