La découverte de la flânerie sociale est le fait d’un ingénieur agronome français, Max Ringelmann (1913). En tant qu’ingénieur, les recherches de Ringelmann étaient assez éloignées de celles des psychologues de son époque. Son principal objet de préoccupation consistait à déterminer la relative efficience du travail que pouvait fournir des chevaux, bœufs, hommes et les différentes machines agricoles. Dans le cadre de ses recherches, Ringelmann (1913) s’est focalisé sur la performance maximum qu’il est possible d’obtenir des travailleurs lorsqu’ils tirent ou poussent une charge horizontalement. Ce n’est que dans un second temps qu’il s’est intéressé à la performance de l’individu seul ou en groupe dans ce même cadre méthodologique. Les différentes observations de Ringelmann (1913) sur le tirage à la corde lui ont permis de mettre en évidence que si la force totale est évidemment supérieure en groupe, il n’en va pas de même lorsqu’elle est rapportée à celle que fournit l’individu en moyenne. Autrement dit, la force moyenne déployée par l’individu est inférieure lorsqu’il est en groupe. Pour Ringelmann (1913), cette diminution peut s’interpréter comme un problème de coordination entre les membres du groupe lorsqu’il s’agit de fournir l’effort maximum. Par la suite, lorsque les psychologues se sont emparés de ces résultats, à la lumière d’autres études, ils ont estimé qu’il s’agissait avant tout d’une diminution de la motivation (cf. Karau & Williams, 2001, pour une revue). Depuis, le phénomène issu des études de Ringelmann sur les moteurs animés et inanimés est plus connu sous le nom de « flânerie sociale ».

Les résultats de la flânerie peuvent paraître contradictoires avec ceux de la facilitation sociale car dans les deux cas il s’agit d’un impact motivationnel du groupe sur les performances individuelles. La contradiction vient du fait que ces résultats sont l’exact opposé l’un de l’autre. Pour comprendre d’où vient cette différence, il est nécessaire de comprendre comment se déroule une expérience mettant en évidence la flânerie sociale.

Dans l’étude de Latané et al. (1979), des étudiants rendus aveugles et sourds doivent crier le plus fort possible à la fois dans un groupe réel et dans un pseudo groupe. Dans la condition de pseudo groupe l’étudiant, seul dans une pièce, a l’impression qu’il crie au milieu d’un groupe composé d’autres étudiants. Les résultats de l’étude montrent une décroissance des performances dans les deux conditions, ce qui implique que la diminution de performance est bien due à la démotivation et non à la coordination. Par la suite, la flânerie sociale a été étudiée au travers de nombreuses études qui ont montré sa généralisation à différents types d’activités. Comme nous pouvons le constater dans cette expérience, la différence entre la flânerie et la facilitation sociale porte sur la réalisation d’une performance collective dans le premier cas, lorsque l’individu est en groupe. Dans le cadre de la facilitation sociale, même quand l’individu est en groupe, sa performance reste individuelle (comme c’est le cas pour le vélo par exemple qui à ce niveau diffère totalement du tirage à la corde).
La flânerie sociale a donné lieu à de nombreuses interprétations théoriques. Nous allons nous appuyer ici de la revue de questions effectuée par Karau & Williams (2001) à propos du modèle de l’effort collectif pour rendre compte des principales théorisations sur la flânerie sociale.

Pour la théorie de l’impact social (Latané, 1981), chaque individu est vu comme une source ou une cible de l’influence sociale. Dans le cadre d’un travail collectif, lorsque la source d’influence externe - tel qu’un expérimentateur ou un cadre - fait une demande, celle-ci se diffuse entre toutes les cibles, ce qui entraîne une réduction de l’impact social qui a, comme contre coup, une diminution de l’effort. La division de l’influence sociale est fonction de la force de la source, du délai d’application et du nombre de sources et de cibles présentes. La théorie du niveau d’activation reprend celle qui a été avancée précédemment au niveau de la facilitation sociale. Nous avons pu voir que pour certains, la facilitation sociale peut s’expliquer par la présence d’un drive secondaire. Ce dernier a pour effet de renforcer la réponse dominante, d’où une augmentation des performances sur des activités simples et une diminution sur des activités complexes. Jackson & Williams (1985) reprennent cette idée, mais ils estiment que la présence d’autres individus cibles aura pour effet une diminution énergétique du drive. Cette théorie s’appuie sur les études qui ont montré que sur des activités simples, les individus ont de meilleures performances lorsqu’ils travaillent en co-action plutôt qu’en coopération alors que les résultats sont inverses sur les activités complexes.

Dans le cadre de la théorie du potentiel d’évaluation (Williams, Harkins, & Latané, 1981), la flânerie sociale est due à l’impossibilité d’évaluer correctement la contribution de chaque individu à la performance collective. Les bonnes ou mauvaises performances individuelles sont noyées dans la masse, il est donc impossible pour l’individu à la fois d’être blâmé mais aussi félicité pour ses performances. Différentes recherches ont ainsi pu montrer que lorsque chaque individu d’un groupe peut évaluer la contribution des autres (y compris la sienne) à la performance collective, alors l’effet de la flânerie sociale disparaît totalement. Ces recherches ont ainsi pu mettre en évidence la présence de deux critères indispensables. D’une part, les résultats de chaque participant doivent être facilement, non seulement connus, mais aussi identifiables. D’autre part, il doit exister une norme à laquelle peuvent être comparés ces mêmes résultats.
La théorie de l’« effort accessoire » suppose que les individus font moins d’effort car ils estiment que leurs performances ne sont pas indispensables à la réussite du groupe. Kerr (1983) a utilisé une activité à effet de seuil. Dans cette tâche, à partir d’un certain point, si un seul individu réussit alors l’ensemble du groupe réussit. Les résultats montrent que les individus réduisent leur effort collectif même si les résultats personnels de chaque individu sont connus de tous.

La théorie de l’auto-efficacité de Bandura a également été utilisée pour expliquer la flânerie sociale. Dans ce cadre théorique, les individus vont réduire leurs efforts lorsqu’ils ont une faible perception de compétence et surtout lorsque leurs performances vont être évaluées. Cette conception est en phase avec les études sur l’auto-efficacité collective (Bandura, 2003). Il est à noter que Bandura (2003) fait une différence entre les activités collectives qui supposent une forte interdépendance entre les membres de celles qui ne le nécessitent pas. Dans le premier cas, la réussite du groupe repose sur une auto-efficacité collective alors que dans le deuxième elle repose sur l’auto-efficacité personnelle.

La théorie de Karau & Williams (2001), sur le modèle de l’effort collectif est particulière, car elle cherche à intégrer en une seule conception l’ensemble des résultats précédents. Ce modèle s’appuie très largement sur les théories de l’expectation-valeur et notamment sur la théorie motivationnelle de Vroom (1964). Pour la théorie de l’effort collectif, la variation de l’effort individuel, sur une tâche collective, dépend de l’instrumentalité de l’effort pour parvenir à des performances donnant accès à des résultats empreints d’une forte valeur individuelle (cliquez ici pour une explication détaillée de l’instrumentalité, de l’expectation et de la valence). L’instrumentalité varie en fonction de trois facteurs :

  1. la perception d’une relation entre la performance individuelle et la performance du groupe ;
  2. la perception d’une relation entre les performances du groupe et les résultats du groupe ;
  3. la perception d’une relation entre les résultats du groupe et les résultats de l’individu.

Si l’individu ne perçoit pas de lien dans une ou plus des trois relations précédentes, alors il va diminuer son effort en situation collective ; comme le prévoit la théorie de la flânerie sociale. De plus, cette théorie estime également que les effets démotivants de la flânerie sociale peuvent être amoindris quand les individus :

  • estiment que leurs performances collectives peuvent être évaluées par eux-mêmes, leurs collègues, ou un responsable ;
  • travaillent dans un petit groupe plutôt que dans un grand groupe ;
  • perçoivent que leur contribution à la performance collective est unique plus que redondante avec celles des autres membres du groupe ;
  • ont la possibilité de comparer la performance de leur groupe à des normes clairement établies ;
  • travaillent sur des activités qui ont un sens, une forte valeur intrinsèque et dans lesquelles ils se sentent totalement impliqués ;
  • travaillent avec des individus qui méritent leur respect, qui leur font vivre une véritable identité de groupe ;
  • s’attendent à ce que leurs collègues aient de faibles performances ;
  • perçoivent les résultats collectifs comme quelque chose d’important et d’une grande valeur ;
  • maintiennent un niveau élevé d’auto-efficacité à la fois personnelle et collective.

Le modèle de l’effort collectif postule que l’ensemble des facteurs précédents peut affecter la valence des résultats, ainsi que la relation entre ces derniers et les attentes de l’individu.

Représentation intégrée de la flânerie sociale (Ringelmann, 1913)