Pour Pyszczynski & al. (2004), la théorie du management de la terreur existentielle (terror management theory ou TMT) tente avant tout de répondre à la question suivante : quel est l’utilité de l’estime de soi ?

Pour les auteurs, il s’agit d’un paravent qui permet de masquer une terreur qui serait consubstantielle à la condition humaine. L’homme du fait de ses capacités cognitives très élaborées, contrairement aux autres espèces animales, prend un jour conscience qu’il va vieillir et que, d’une manière ou d’une autre, il va finir par mourir. Dans cette perspective, l’estime de soi serait une protection contre cette terreur existentielle. Ainsi, l’identité, les appartenances familiales, culturelles, mais aussi les aspirations, les buts ou encore les occupations tenues par l’être humain en attendant ce moment fatidique, seraient là principalement pour lui permettre de croire qu’il est un peu plus qu’un ver de terre ou qu’un simple légume.

Bien que d’aspect presque philosophique, cette théorie s’appuie sur une base empirique d’une grande solidité. Globalement il apparaît que le fait d’afficher des éléments morbides, comme des vidéos traitant de la mort, a pour effet d’augmenter significativement l’anxiété des individus. Cependant, cette anxiété est tout aussi significativement diminuée si l’estime de soi est augmentée d’une manière ou d’une autre. Par exemple, dans les différentes études de Greenberg & al. (1992), les participants reçoivent dans un premier temps un faux feedback qui valorise leur personnalité. À la suite de cette information, les sujets regardent un film qui traite de la mort. Il apparaît que les sujets dont l’estime de soi a été augmentée artificiellement lors du premier temps de l’expérience ont des niveaux d’anxiété plus faibles que ceux qui n’ont pas bénéficié de ce traitement.

Pour Pyszczynski & al. (1997), les cultures humaines seraient une émanation directe de la gestion de cette terreur existentielle liée à l’anéantissement. En fournissant des conceptions symboliques de la réalité partagée entre les membres d’une communauté, les cultures, qui sont en quelque sorte une émanation de cette terreur individuelle à un niveau collectif, donnent du sens, de l’ordre et de la permanence à l’existence. Ces symbolismes sont différents en fonction de la culture considérée et permettent de comprendre l’ajustement individuel des membres d’une culture donnée. Ces symbolismes ont principalement pour fonction de fournir un standard permettant aux individus de distinguer ce qui est valable de ce qui ne l’est pas, notamment au travers des promesses de certaines formes d’immortalité littérales ou symboliques. Les formes les plus tangibles se retrouvent dans les différentes formes d’immortalités que proposent les religions (paradis, réincarnation…). Cependant les institutions confèrent également des formes d’immortalité plus symboliques et donnent l’impression aux individus qu’ils prennent part à quelque chose de grandiose, de plus significatif et ainsi de plus éternel que leurs seules individualités.
Au travers d’une très large revue de questions Pyszczynski & al. (2004), utilisent les résultats de plusieurs dizaines d’études empiriques pour montrer que lorsque l’inévitabilité de la mort est rappelée de différentes façons, elle a pour effet de favoriser l’émergence de nombreux comportements permettant, d’une manière ou d’une autre, d’augmenter l’estime de soi et ce, en fonction de la culture de base de l’individu. Ils donnent plusieurs exemples :

  • augmentation de l’adhérence à des standards bien établis et ce spécialement quand ces derniers ont fait l’objet d’un « priming » ;
  • augmentation d’une sensation d’inconfort quand le comportement qui doit être produit par le sujet viole des normes culturelles ;
  • augmentation de l’identification à l’apparence physique chez les individus qui investissent massivement cette dernière pour se valoriser ;
  • diminution de tout ce qui a trait à l’apparence chez les individus qui investissent peu leur apparence physique pour se valoriser ;
  • augmentation de la recherche de l’individualisation ;
  • augmentation ou diminution de l’affiliation avec le genre, l’ethnie, l’université d’appartenance, l’identification à l’équipe sportive locale en fonction des implications que ces différents types d’affiliation ont pour l’estime de soi.

Ainsi, maintenir l’estime de soi-même à un haut niveau permet de diminuer l’accessibilité aux pensées liées à la mort. Ce dernier aspect, ainsi que ceux exposés précédemment, s’expliquent par la présence de ce que Pyszczynski & al. (1997) appellent une zone tampon habillée par l’estime de soi dédiée à la gestion anxieuse (self-esteem buffers anxiety). Cette zone tampon serait une structure psychologique dont la fonction est d’offrir une protection contre cette terreur existentielle que constitue la peur de mourir.

Pourtant, même si on ne peut nier une certaine prégnance de la mort dans les comportements, les affirmations de cette théorie pourraient laisser supposer que ces pensées seraient non seulement fortement intrusives, mais aussi conscientes. Pour les auteurs (Pyszczynski & al., 1997) les résultats sont effectivement accessibles mais restent pour autant en dehors de la zone de traitement de la mémoire de travail. Cette absence de focalisation sur les pensées morbides permet d’expliquer le fait que bien que les individus accèdent facilement à certains mots liés à la mort (observable grâce aux temps de réactions des termes en relation au thématiques morbides) ils n’en sont pas pour autant conscients (Harmon-Jones & al, 1997 ; Pyszczynski & al., 1999).

Pour Pyszczynski & al. (1997), le management de la terreur existentielle et les besoins biologiques sont sous-tendus par le même instinct de préservation. La préservation de la vie est vue comme un but de niveau super-ordinal qui maximise les chances de transmission des gènes ; tous les autres objectifs de l’être vivant dérivant de cet objectif. Comme nous pouvons le constater, la théorie du management de la terreur existentielle repose également sur une conception ordinale des objectifs, telle que la conçoivent Carver & Scheier (1982). Pour eux, les individus qui vivent dans les sociétés modernes accordent moins de temps aux activités liées à la survie en raison de l’abondance des ressources et de la présence de différentes technologies : l’absence de l’un, de l’autre, ou des deux, provoquerait automatiquement un retour à des activités plus fondamentales de survie. Ce temps disponible, non dédié directement aux activités de survie, n’est cependant pas dédié à des activités qui sont fondamentalement différentes. Simplement, au lieu de faire des activités qui sont directement liées à sa survie, l’homme moderne occupe l’essentiel de son temps à mettre en place des moyens symboliques d’auto-préservation, c’est-à-dire des défenses chargées de le prémunir d’une conscience trop aiguë de la présence de la mort, source permanente d’anxiété.

Cependant, pour qu’un organisme soit viable, il ne faut pas qu’il soit seulement capable de se défendre, il faut aussi qu’il soit capable de se développer. C’est pour cette raison que la théorie du management de la terreur existentielle postule également la présence d’une motivation à l’auto-expansion (self-expansive motive). Cette forme motivationnelle aurait pour objectif de rechercher des structures internes et/ou externes qui soient à la fois complexes et simples afin de favoriser le développement de l’organisme. La recherche de cette « élégance » structurelle favorisant l’organisation des éléments entre eux serait en quelque sorte « récompensée » par différentes sensations de plaisir.

Représentation intégrée de la théorie du management de la terreur existentielle (d’après Pyszczynski & al., 1997)