Au-delà des différentes conceptions de l’estime de soi, Leary et ses collaborateurs (Leary & al., 1995, 1998, 2000, 2003) proposent de s’interroger sur sa fonctionnalité. À quoi sert l’estime de soi ? Dans le cadre de la théorie sociométrique (sociometer theory) de l’estime de soi, la réponse à cette question est sans ambiguïté : c’est une jauge. Pour comprendre la nature de cette jauge, il est nécessaire de retracer une partie du raisonnement que tient Leary pour, finalement, en arriver à formuler sa théorie.

L’estime de soi peut être caractérisée comme une attitude envers soi-même et Leary (Leary & al., 2000) distingue dans les attitudes une composante émotionnelle et, une autre, cognitive. Cette dualité permet de différencier les notions de « concept de soi » (croyance sur le soi) et « d’estime de soi » (évaluation de soi-même à la lumière de ses croyances). Cette approche affective de l’estime de soi permet effectivement d’expliquer l’impact émotionnel que peut avoir une bonne ou une mauvaise évaluation de soi-même pour soi-même. Les individus s’interrogent sur eux-mêmes et en fonction des réponses qu’ils obtiennent ou des croyances qu’ils se forgent. Ils s’apprécient ou se déprécient. Cette composante émotionnelle permet à Leary d’avancer l’idée qu’il existe une forme « trait » et une autre « état » de l’estime de soi. Les individus ont un niveau moyen d’estime d’eux-mêmes au travers des situations et du temps (estime de soi trait), mais cette estime de soi est susceptible d’être fluctuante en fonction des situations et des contextes que rencontre l’individu (estime de soi état).

La présente de ces deux modalités de l’estime de soi s’explique par l’impact de la composante émotionnelle qui, pour Leary, a une fonction primordiale dans le cadre des relations sociales.
Pour Leary et ses collaborateurs (Leary & al., 1995, 1998, 2000, 2003), l’estime de soi a une fonction sociométrique qui permet à l’individu de savoir où il en est de ses relations interpersonnelles. La perception que l’individu a de l’estime de soi état est un index subjectif qui indique en permanence à l’individu son degré d’inclusion ou d’exclusion auprès d’autrui. L’individu serait donc, en fonction du niveau interne, en permanence motivé à maintenir un certain niveau d’estime de lui-même afin d’éviter d’être rejeté socialement ou pour augmenter son seuil d’acceptabilité sociale. Pour Leary, la présence de cet indicateur interne d’acceptabilité sociale s’explique par l’absolue nécessité qu’ont les êtres humains de vivre en groupe afin de pouvoir survivre. Ainsi, l’exclusion sociale peut, dans certaines circonstances, signer un arrêt de mort plus ou moins immédiat pour l’individu et n’est, de toute façon, pas viable à long terme.

Le niveau de cette « jauge » sert d’alerte à l’individu lorsqu’il se trouve dans des situations ou susceptibles d’aboutir à son exclusion. Les événements qui, d’une manière ou d’une autre, peuvent aboutir à l’exclusion de l’individu du groupe social, sont donc fondamentalement perçus comme une attaque portée à l’estime de soi.

Ce positionnement permet à Leary d’estimer qu’il n’est nullement besoin de supposer l’existence d’un quelconque besoin permettant à l’individu de maintenir son estime de lui-même à un certain niveau, dans la mesure où l’estime de soi est un simple indicateur de la qualité des relations sociales. Les émotions négatives adviennent quand l’individu perçoit des indices lui permettant de supposer qu’il fait l’objet d’une désapprobation, d’un rejet ou d’une exclusion. À l’inverse, les individus cherchent à exceller dans les domaines qui augmentent leur potentiel d’inclusion auprès des autres personnes. Dans cette logique, il est donc parfaitement explicable que l’individu adopte les standards d’autrui et que leur estime d’eux-mêmes soit affectée par les performances qui sont valorisées par les autres, et ce d’autant plus, s’il s’agit de personnes qui sont particulièrement importantes pour l’individu.

Représentation intégrée de la théorie sociométrique de l’estime de soi (d’après Leary & Baumeister, 2000)