Silvia (2001) propose une vision intégrée de l’intérêt qui prend en compte différentes approches de l’émotion et de la motivation liées à l’intérêt. Sa vision permet également de voir comment l’intérêt peut ou non se développer chez l’individu. Deux grands moments sont importants dans cette conception. Le premier est celui du déclenchement de l’intérêt et le deuxième de son installation en tant que caractéristique stable chez l’individu. Pour Silvia (2001), en s’appuyant sur les conceptions de différents auteurs, il existe trois formes possibles qui peuvent expliquer en quoi une activité devient, ou est, intéressante.
La première forme est « l’internalisation ». La personne prend l’initiative de s’engager dans une activité car cette dernière lui permet de réaliser un projet qui d’une manière ou d’une autre se rapporte à son ego ou est compatible avec différentes formes d’appropriation dans lesquelles l’individu capte certains éléments externes de l’environnement en les assimilant à ses structures internes. Cette conception de l’internalisation est relativement proche de celle développée par Deci et Ryan (2002 ; cf. chap. 2.2.3) car il s’agit dans les deux cas d’une internalisation d’éléments sociaux (valeur, attitude…) ou environnementaux, préalablement considérés comme externes, qui deviennent compatibles avec le sens profond que l’individu a de lui-même.
La deuxième forme, qui permet d’expliquer pourquoi une activité devient intéressante, est la « transformation » d’une raison. Par exemple, dans le cadre de la dissonance cognitive (Festinger, 1957) dans laquelle un état d’inconfort est créé par la concomitance de deux pensées contradictoires, l’individu est motivé par la recherche d’une alternative moins extrême.
La troisième forme est celle des variables « collatives » liées à la curiosité telle que la décrit Berlyne (1960, 1970, 1978 ; cf. chap. 3.8.1). La conception que développe Berlyne autour de la curiosité peut être comprise comme une déclination, d’une manière ou d’une autre, d’un conflit. La nouveauté, par exemple, est un conflit entre les expériences passées, présentes et les expectations que formule l’individu.
Ces trois formes de déclenchement de l’intérêt aboutissent toutes à créer ce que Silvia appelle « l’intérêt émotionnel ». Cependant, l’émotion n’est pas suffisante pour transformer l’intérêt en un phénomène persistant. Silvia (2001) estime que la persistance de l’intérêt ne peut se produire qu’au travers de ce qu’elle appelle la « magnification ». La magnification permet de qualifier l’amplification que doit nécessairement connaître l’intérêt émotionnel pour devenir une caractéristique plus stable. Des processus additionnels vont s’ajouter à la source originelle et s’articuler dans une nouvelle structure dont le cœur est constitué de l’ancienne structure. Deux approches sont avancées par Silvia pour expliquer le processus de magnification.
La première est issue de la théorie émotionnelle des scripts de Tomkins (1987), qui est une conception mnémonique de l’émotion. Pour Tomkins (1987), les scènes qui évoquent des émotions sont stockées de manière séparée en mémoire. Ces scènes sont ensuite susceptibles d’être organisées en un ensemble au travers différents mécanismes de rapprochement. Ces scènes deviennent interconnectées et se développent en scripts. Ces derniers sont des ensembles de règles permettant de prédire, d’interpréter, de contrôler les scènes ou d’y répondre. Les scripts peuvent donc inclurent des scènes chargées d’intérêt émotionnel qui vont permettre de magnifier l’intérêt pour l’ensemble du script.
La seconde explique que les scripts peuvent suivre un processus inverse comme l’inclusion de scènes impliquant des émotions négatives comme l’anxiété, la honte ou l’ennui qui vont avoir pour effet de « démagnifier » l’intérêt.
Au fur et à mesure où des scènes intéressantes sont connectées et donc magnifiées, l’individu devient capable de comprendre que certaines activités ou certaines idées sont susceptibles de déclencher une émotion d’intérêt. Si l’intérêt n’est pas expérimenté au travers de la réalisation d’une activité, la scène s’ajoute au script mais ne permet pas de le magnifier, l’intérêt cesse donc de se développer.
Représentation intégrée de la théorie de l’intégrée de l’intérêt
(d’après Silvia, 2001)