Baumeister (1997) propose d’adopter une approche globale pour appréhender tous les comportements adoptés sciemment par l’individu et dont les résultats vont à l’encontre de ses propres intérêts. Baumeister parle de comportements d’autodestruction pour se référer à la partie la plus visible de cette mécanique infernale dont les facteurs centraux sont invisibles car psychologiques, mais qui, dans tous les cas, ont pour effet de conduire l’individu à sa perte.
Les comportements d’autodestruction tels que les définit Baumeister (1997) sont ceux qui ont, pour l’individu, des coûts plus importants que leurs bénéfices, tel que le fait de se mettre en échec, de se faire du mal, du tort, ou encore de provoquer de la souffrance. Les actions nuisibles pour les projets de l’individu sont également considérées comme autodestructrices, lorsque celles-ci résultent de la mise en place d’une stratégie particulièrement hasardeuse ou encore comme le fait de produire des efforts importants pour des résultats médiocres (se « noyer dans un verre d’eau »). Les comportements d’autodestruction posent ainsi une sorte de défi à une compréhension rationnelle du comportement humain. Pour Baumeister, cette irrationalité comportementale est provoquée par la présence de deux facteurs clefs qui sont liés par ce qu’il appelle une « détresse émotionnelle ».
Le premier facteur est la présence d’une menace en termes d’égotisme (threatened egotism). L’égotisme se définit comme un terme générique qui concerne tout ce qui a trait aux visions favorables de soi-même, qu’elles soient justifiées ou non. Pour lui, l’égotisme a donc de multiples synonymes qui peuvent être sur un versant positif tel la confiance en soi ou l’estime de soi, ou sur un versant plus négatif comme le narcissisme ou l’arrogance. Lorsque Baumeister parle de menace, dans le cadre de l’égotisme, il fait référence à tous les événements qui peuvent potentiellement avoir une influence négative sur l’appréciation que l’individu a de lui-même. L’exemple type, d’une menace égotiste, est la possibilité de recevoir une évaluation négative sur une dimension qui, jusque là, était marquée par une appréciation relativement positive de la part de l’individu. Le fait de recevoir une telle évaluation n’a pas, dans l’esprit de Baumeister, une implication de baisse de l’estime de soi ; l’individu pouvant justement ne pas en tenir compte.
Le deuxième facteur est le dysfonctionnement de l’autorégulation (self-regulation failure). Pour Baumeister, l’autorégulation fait référence aux processus par lesquels le self altère ses propres réponses, ceci incluant les pensées, les émotions et les comportements. En ce sens, l’autorégulation recouvre substantiellement la notion de self-control. Deux grandes catégories de dysfonctionnement d’autorégulation sont repérables lorsque l’individu est confronté à une tentation : les sous-régulations (underregulation) et les régulations manquées (misregulation). Les sous-régulations impliquent un échec du self dans l’effort nécessaire pour produire le comportement à même d’avoir le meilleur résultat. Les régulations manquées impliquent des efforts concertés et effectifs relevant du self, mais ceux-ci ne produisent pas les résultats escomptés. Le manque de volonté, dont fait preuve l’alcoolique lorsqu’il est confronté à une tentation, est un exemple de sous-régulation. Un exemple de régulation manquée pourrait être le fait de boire en croyant que l’alcool est en mesure d’avoir des effets bénéfiques sur l’humeur alors qu’en fait, au final, l’alcool ne ferait qu’augmenter l’humeur dépressive de l’individu. Pour Baumeister, les deux facteurs précédents, la menace égotiste et le dysfonctionnement de l’autorégulation, sont liés par un autre phénomène : la détresse émotionnelle. En effet, les observations les plus courantes permettent facilement d’observer que les individus, qui vivent les détresses émotionnelles les plus noires, sont également ceux qui ont le plus de « rumination mentales » tournées vers l’autodestruction et qui sont les plus enclins à adopter des comportements les plus destructeurs. Baumeister estime que l’impact négatif de la détresse émotionnelle sur l’autorégulation peut s’expliquer en termes de coût/bénéfice.
Lorsqu’elle atteint un certain niveau, la détresse émotionnelle peut être si forte que l’individu s’oriente en priorité absolue vers un moyen d’y mettre fin en court-circuitant le self-control. Le lien de la détresse émotionnelle avec les deux facteurs précédents pourrait se résumer de la manière suivante : une évaluation négative en provoquant une détresse émotionnelle pourrait à son tour diminuer les capacités de discernement (en termes coût/bénéfice) et d’autorégulation et ainsi générer un comportement autodestructeur. En fonction des modalités d’autodestruction, l’impact égotiste, le type de l’émotion et de l’autorégula¬tion, ont des natures différentes, mais le cadre conceptuel serait le même. Pour Baumeister, la poursuite d’objectifs ou d’activités pour les intérêts propres à l’individu nécessite une analyse froide et rationnelle des bénéfices à long terme. Les attaques égotistes en provoquant des détresses émotionnelles oblitèrent cette réflexion à long terme en obligeant l’individu à se focaliser sur le court terme. La réponse apportée à une situation de crise se fait donc au détriment de calculs plus bénéfiques qui pourraient se faire à long terme. Ainsi, les comportements d’autodestruction seraient donc le fruit d’une situation de crise interne. Une attaque envers l’estime de soi place l’individu devant le choix soit d’accepter cette mauvaise évaluation, soit de maintenir une haute estime de soi en discréditant l’attaque. Généralement, les individus sont réticents à réviser à la baisse l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. L’individu est donc plus enclin à choisir l’option consistant à éliminer la menace envers l’estime de soi, optant ainsi pour un bénéfice à court terme, au détriment des effets à long terme qui peuvent être négatifs. Pour Baumeister, si cette tendance à choisir les bénéfices à court terme se rencontre plus fréquemment chez les individus qui ont une faible estime d’eux-mêmes, elle n’est pas liée à la présence d’une motivation d’autodestruction, comme le postule notamment la psychanalyse au travers de la pulsion de mort.
L’estimation que les individus ont d’eux-mêmes est le reflet d’une certaine réalité, tout comme les feedbacks externes. Ces deux réalités sont relativement concordantes si l’individu à une vision relativement « réaliste » de lui-même. Cependant, quand ce dernier est orgueilleux, ou a un ego surdimensionné d’une manière ou d’une autre, il est susceptible de recevoir plus de feedbacks négatifs. Baumeister postule donc que l’estime de soi n’est pas le meilleur prédicteur de l’utilisation de comportement autodestructeur, car elle véhicule une vision trop réductrice de cette question. Il préfère donc se référer à deux variables qu’il est possible de rattacher à l’estime de soi.
La première est le narcissisme, qu’il définit comme une exagération de l’évaluation de soi-même.
La seconde est la stabilité de l’estime de soi car les individus, qui ont une évaluation d’eux-mêmes relativement instable, sont les plus fragiles face à une menace envers l’estime de soi. En effet, plus l’individu a une appréciation de lui-même stable, plus l’impact d’une évaluation négative est faible. Ainsi, les individus qui ont une évaluation d’élevée d’eux-mêmes, mais instable, sont largement susceptibles d’utiliser des comportements d’auto¬destruction, dans le portait qu’en dresse Baumeister.
En s’appuyant sur des résultats expérimentaux, ou des résultats d’enquête, Baumeister montre, de manière convaincante, comment les menaces adressées à l’estime de soi expliquent l’ensemble des conduites d’échec. Plus précisément, il analyse de cette manière le suicide, l’alcoolisme, l’auto-handicap, la procrastination, la vengeance, les violences destructrices, la timidité, les fêtards pathologiques, les conduites destructives, le fait de « craquer sous la pression », l’inadaptation des assignations d’objectifs ainsi que la résignation. À la base de chacune de ces conduites, les menaces adressées à l’estime de soi et la génération d’une anxiété massive sont des ingrédients majeurs. Cependant, l’auteur insiste sur le fait que dans ces différents cas de figures, les menaces adressées à l’estime de soi ne sont pas des causes nécessaires ; d’autres raisons pouvant être invoquées, par exemple pour expliquer les comportements suicidaires. Cependant, quand ces raisons se présentent comme causes explicatives, elles sont généralement conformes au modèle des menaces égotistes telles que les propose Baumeister.