Il existe à l’heure actuelle au moins une centaine de conceptions théoriques qui traitent de la motivation au niveau psychologique comme défini ici. Bien entendu, cette comptabilité peut être discutée, mais elle témoigne malgré tout de l’extraordinaire intérêt que suscite la motivation et des difficultés qui se posent à tous ceux qui veulent actuellement s’en saisir au-delà de la question de son origine que j’ai également abordée dans la partie précédente. Devant le constat de cette luxuriance théorique, de nombreuses questions peuvent se poser. L’une d’elle, qui me parait être première, est liée à la capacité d’appréhender globalement cet univers théorique.

L’absence de cette capacité entraîne obligatoirement un traitement partiel de la « chose motivationnelle » d’un point de vue théorique et une certaine myopie sur ses applications pratiques. Au plan théorique, il est, bien entendu, possible de faire le choix de traiter la motivation sous l’angle d’une théorie majeure du domaine comme, par exemple, celle de Deci & Ryan (2002) ou de Bandura (2003) qui présentent des conceptions suffisamment larges pour appréhender une multitude d’aspects tant généraux que particuliers. Au plan pratique, diverses théories motivationnelles se sont particulièrement attachées à traiter certaines catégories de problèmes selon les terrains. Par exemple, la théorie Latham & Locke (2007) est particulièrement bien adaptée aux situations de travail, celle d’Eccles (2002) aux situations scolaires, tandis que le modèle de Zimmerman (2002) s’avère être indispensable pour appréhender l’autorégulation des apprentissages quelque soit le contexte scolaire, universitaire ou professionnel.

Le cas de la théorie de Zimmerman (2002) est intéressant car, si cette dernière utilise et repose sur la motivation de l’individu, on pourrait également considérer qu’elle est excentrée par rapport aux questions purement motivationnelles. D’ailleurs, la théorie de Zimmerman (2002) s’appuie sur celle de Bandura (2003) lui « déléguant » en quelque sorte le traitement de la motivation. Pour autant, la conception théorique de Zimmerman (2002) me semble être indispensable pour qui veut comprendre un aspect majeur de la motivation, celui de la « persistance », appréhendée ici sous l’angle des apprentissages.
On peut considérer qu’il existe actuellement des modèles généraux de la motivation et d’autres se révélant particulièrement bien adaptés au traitement de certains problèmes concrets. À côté de ces modèles largement cités et utilisés, il en existe d’autres qui peuvent traiter de certains problèmes particuliers (comme celui de l’équité dans les situations de travail, Adams, 1963) ou encore éclairer une facette intrigante de la motivation (comme pour la « réactance », Brehm, 1966). Elles sont généralement méconnues et peu utilisées, sauf par les spécialistes du domaine.
La démarche du modèle intégratif ne prétend pas à remplacer, voire à se substituer, à l’intérêt évident que proposent les différents modèles qui structurent actuellement le domaine de la motivation. Il s’agit plutôt de construire les ponts entre toutes ces théories, qu’elles soient ensemblistes ou non, de les situer les unes par rapports aux autres, de repérer leurs points communs mais aussi leurs différences, et ce toujours dans un souci d’articulation afin, au final, d’en tirer le meilleur parti, que ce soit au plan théorique ou pratique.

Le modèle intégratif ne se conçoit donc pas comme un autre modèle motivationnel plus englobant, plus universel que les autres, et cela, pour plusieurs raisons. Contrairement aux modèles théoriques, il ne s’appuie pas sur des données, des observations ou des expériences. Son principal objectif n’est pas d’expliquer la réalité mais de proposer la classification la plus cohérente possible de ces derniers. Même atteint cet objectif ne permettra pas de prédire tel ou tel phénomène, comme le ferait un modèle théorique, mais il facilitera le positionnement des théories les unes par rapport aux autres en proposant une structuration plausible et conceptuellement cohérente. Cette structure devrait permettre, à la fois, de proposer une vision globale sur la galaxie motivationnelle, mais aussi, de guider le choix d’employer telle théorie en fonction de d’adéquation entre les questions qui se posent théoriquement ou pratiquement et des grandes catégories de concepts qui ont été structurellement repérées.

Le modèle intégratif part du postulat qu’au-delà des nuances, il est possible de faire des rapprochements entre les théories motivationnelles sur la base des concepts soit qu’elles utilisent, soit qui présentent des fortes ressemblances entre eux. Il est donc envisageable de définir des « catégories-conceptuelles » qui caractérisent une famille de concepts motivationnels tandis que les théories utilisent des « concepts-théoriques » qui se rattachent à ces catégories.

En procédant ainsi, la limite qu’imposerait une méthode de classification supposant des catégories « relativement » étanches au niveau des conceptions théoriques peut être dépassée car ce sont, en quelque sorte, leurs constituants (les concepts-théoriques) qui sont pris en compte.

Certaines théories s’appuient sur un concept unique, d’autres peuvent en articuler plusieurs, sans que cela ne remette en cause cette approche qui pourra être utilisée dans un second temps pour « reconstituer » l’originalité de chaque théorie au travers des regroupements conceptuels qui auront été définis.

Le modèle part d’un premier postulat consistant à dire que les catégories conceptuelles et les concepts-théoriques liés à une théorie spécifique peuvent être regroupés au sein de plusieurs « ensembles-conceptuels ».

Un deuxième postulat estime que ces ensembles peuvent être articulés en fonction d’un certain ordre : les concepts d’un ensemble en impliquent d’autres ou ne peuvent se produire avant ceux d’un autre ensemble. Par exemple, les besoins physiologiques surgissent avant les drives, de même que les besoins psychologiques sont présents avant les motifs qu’ils engendrent. Dans le même ordre d’idée, le choix n’a de sens que si des motifs ou des besoins préexistent.

Chaque regroupement d’un ensemble de concepts devient ainsi une étape qui occupe une place déterminée dans une collection plus large. Autrement dit, ce modèle cherche à cartographier une sorte de processus psychique tel que semble le faire apparaître l’ensemble des théories motivationnelles mises bout à bout, et donne au tout une certaine cohérence.

modèle intégratif de la motivation